Contribution de Norbert Ségard à la vie, au développement et
au rayonnement de l’Université Catholique de Lille.
Conseil Supérieur de l’Université Catholique de Lille
Séance du 27 mars 2019
par Gaston Vandecandelaere
Toutes les institutions subissent des fluctuations importantes de leur vitalité : l’estime qu’on leur porte régresse, leurs moyens se restreignent, le contexte socio-économique change,…. Ainsi en a-t-il été de notre Université Catholique. Il semble qu’elle ait eu de grosses difficultés à redémarrer après la seconde guerre mondiale. Elle a cependant continué de fonctionner pendant la guerre puis la drôle de guerre… C’est ainsi que Norbert Ségard s’y est inscrit pour des études de mathématiques et de physique en 1940. Il y restera comme « assistant » du seul enseignant de physique et décidera même d’y préparer une thèse : aucune recherche n’existait en physique depuis la thèse de Monsieur Charron en 1916 !!
Choisir de faire de la recherche et de préparer une thèse dans ce contexte n’est pas anodin. Cela témoigne d’une volonté de servir l’enseignement catholique, puis, plus précisément de se consacrer à la faculté des sciences : il soutient un DES en 1945, puis sa thèse en 1953. Tout cela dans des conditions difficiles car les moyens financiers sont très faibles. Pour survivre, avec femme et enfants, il faut donner beaucoup d’heures de cours en faculté, en HEI, à l’ICAM, et même à la faculté des Sciences de la catho de Paris !
Peu à peu, des projets de relance de la faculté germent et prennent corps, et ils deviennent le moyen de « recréation » de la Catho. Car la nouvelle dynamique du secteur des sciences donne à nouveau l’espoir qu’un projet rénové de cette université est possible, malgré sa précarité générale et l’étroitesse de ses moyens. Soixante-dix ans après la création de l’université vient le temps de sa renaissance marquée aussi, en 1961, par l’arrivée de Michel Falise.
Qui était Norbert Ségard ? Né le 3 octobre 1922 à Aniche (Nord), d’un père directeur commercial des verreries de la ville, et d’une mère institutrice de l’enseignement privé, il décroche un baccalauréat de philosophie au lycée Notre-Dame-de-Grâce à Cambrai en 1939.
Après un an dans une officine de pharmacie à Aniche, il intègre la faculté libre des sciences de Lille en 1940. Il obtient la licence de Physique et de Mathématiques tout en étant président des étudiants de 1940 à 1942. Il participe alors à l’enseignement et entame une carrière universitaire. Excellent enseignant, il prépare sa thèse de physique dans le domaine de l’optique et la soutient en 1953.
Mais il n’était pas qu’un brillant universitaire. Il était aussi un entrepreneur soucieux du développement de sa Région. Ainsi crée-t-il d’abord l’ISEN en 1956, après avoir participé à la création de l’ISEP à la Catho de Paris. Viendront ensuite les créations de l’ISA (1963) et de l’IEFSI (1961) avec Michel Falise. Ces établissements sont créés pour les entreprises et avec leur concours pour contribuer, par la formation et la recherche, à leur développement. Dans cette perspective il créera d’ailleurs un laboratoire de recherche appliquée, LEANORD, en espérant « faire rentrer » les technologies nouvelles dans l’industrie du Nord-Pas de Calais.
Ces créations et sa vitalité l’amènent à accepter diverses responsabilités tant dans le secteur universitaire (société des sciences) que technologiques (société des électriciens et électroniciens). Il représentera aussi l’enseignement supérieur privé au Conseil Supérieur de l’Enseignement Supérieur dont il sera membre de la commission permanente. Au plan régional, il sera membre de la COmmission de Développement Économique Régional (CODER) du département. Ainsi, phénomène assez rare chez les universitaires, Norbert Ségard s’est engagé au service de notre Université en ayant, de plus, la volonté de rendre par là même service à la société en particulier régionale. Pleinement Universitaire, mais engagé aussi dans le Monde.
Une activité aussi débordante ne pouvait pas passer inaperçu des responsables politiques du pays. Il fut ainsi amener à se porter candidat centriste aux élections législatives de 1973 où il fut brillamment élu (60% des voix) et à prendre la tête de liste aux élections municipales de 1977, comme challenger de Pierre Mauroy.
L’activité parlementaire de Norbert Ségard est aussi courte que sa carrière ministérielle est longue et riche. En effet, il ne reste député qu’une année, avant son entrée au gouvernement en juin 1974. Comme député, Il intervient sur les questions liées à la formation et à l’éducation. Comme rapporteur du budget de l’Éducation Nationale, il insiste sur le recrutement des jeunes chercheurs, en souhaitant qu’un statut à temps complet leur soit octroyé. Très attaché à l’enseignement Catholique, il accepte, dès son arrivée à l’Assemblée nationale, de présider l’association parlementaire pour la liberté de l’enseignement, jusqu’à son entrée au gouvernement.
Sa carrière politique s’accélère véritablement, avec l’élection de Valéry Giscard d’Estaing à la Présidence de la République. Le Premier ministre Jacques Chirac l’appelle dans son gouvernement, le 8 juin 1974, comme Secrétaire d’État au Commerce Extérieur. Norbert Ségard selon son habitude s’y engage sans réserve, devenant « Le premier représentant de commerce de France ». En janvier 1976, Norbert Ségard devient Secrétaire d’État aux Postes, aux Télécommunications et à la Télédiffusion (PTT). Dans ce ministère, Norbert Ségard s’attèle alors à l’expansion spectaculaire du téléphone et des nouvelles technologies de communication. Il restera ministre jusqu’à son décès en 1981.
Quels étaient les moteurs de Norbert Ségard ? Le premier est sans aucun doute une foi marquée par l’Incarnation, c’est-à-dire marquée par une volonté de parachever la Création, très engagée dans le monde. Ses choix personnels illustrent l’action d’un chrétien démocrate et la vision de l’Homme d’un Emmanuel Mounier. On relira avec intérêt la prière qu’il a dite lors de la venue de Jean Paul II en France en 1980. Et cette vision, il a choisi de la mettre en oeuvre par la formation des hommes. Concrètement, il a consacré 35 années de sa vie à l’enseignement supérieur catholique, redonnant une perspective à notre Université et une ambition de développement du service qu’elle rend. C’est dans ce même dessin que l’on peut analyser son engagement politique, comme un élargissement de sa volonté de servir. Pendant sept années il consacrera toute son énergie au développement économique du pays par les exportations puis à sa modernisation par le développement des télécommunications.
Et ce service ira jusqu’à l’annonce publique de sa maladie qu’il a voulu faire à la fois pour rappeler aux fumeurs les risques qu’ils prenaient et pour témoigner auprès des porteurs d’un cancer qu’il est possible de continuer à vivre : « je ne lutte pas contre le cancer, je lutte pour la vie ».
Gaston Vandecandelaere
Directeur de l’ISEN 1975-1989
Président – Recteur de l’UCL 1991 – 2003