Norbert Ségard (1922 – 1981)
Biographie
Né le 3 octobre 1922 à Aniche (Nord), d’un père directeur commercial des verreries de la ville, et d’une mère institutrice de l’enseignement privé, il mène de brillantes études scientifiques, après un baccalauréat littéraire obtenu au lycée Notre-Dame-de-Grâce à Cambrai en 1939. Après un an dans une officine de pharmacie à Aniche, il intègre la Faculté Libre des Sciences de Lille en 1940. Président des étudiants de l’Institut Catholique de Lille de 1940 à 1942, licence en Physique et en Mathématiques, diplôme d’études supérieures (D.E.S.) en physique, chargé de cours à la Faculté Libre des Sciences de Lille, professeur à l’ICAM et à HEI. Docteur es sciences Physiques en 1953, professeur de physique aux Facultés libres des Sciences de Lille et de Paris, directeur des études de l’Institut Supérieur d’Électronique de Paris qu’il a co-fondé en 1955.
Professeur réputé et reconnu pour ses méthodes d’enseignement, Norbert Ségard déploie une activité universitaire importante, montrant ainsi que l’acteur politique qu’il deviendra à 50 ans passés, fut d’abord un physicien de renom, à partir d’activités scientifiques de recherche commencées en 1945.
Il fonde et dirige en 1956 l’Institut Supérieur d’Électronique du Nord (ISEN). Il crée en 1960 le Laboratoire d’Électronique et d’Automatique du Nord (LEANORD), puis en 1961 l’Institut d’Économie d’Entreprise et de Formation Sociale pour Ingénieurs (IEFSI) puis en 1963, l’Institut Supérieur d’Agriculture (ISA). Il devient également doyen de la Faculté Libre des Sciences de Lille à partir de 1963. En quelques années, il est le délégué général d’un très grand nombre d’écoles d’ingénieurs, à l’instar des ingénieurs (civils, électriciens, chimistes) des Hautes Études Industrielles (HEI) et en 1964 des ingénieurs de l’Institut Technique Roubaisien (ITR). Sa grand oeuvre aura été le regroupement dans un « Polytechnicum » – appelé GEFIRN – dont il est également le délégué général, de l’ensemble des grandes écoles d’ingénieurs et de cadres nées autour des facultés catholiques lilloises.
Radio électroniciens
De surcroît, il préside en 1956 la société des électriciens et des radio-électroniciens (SEE) du Nord et en 1962 l’Association française pour le contrôle industriel de la qualité. Il écrit de nombreux articles dans la revue de la Société Scientifique de Bruxelles dont il fait partie du Conseil. Il est membre de l’American Physical Society, et vice-président de l’Union régionale des groupements d’ingénieurs. L’Académie des Sciences lui commandera plusieurs notes et un grand nombre de journaux scientifiques publiera ses articles.
Ces multiples activités lui valent d’appartenir, à partir de 1967, au Conseil Supérieur de l’Éducation Nationale, au Conseil de l’Enseignement Général et Technique et au Conseil de l’Enseignement Technique Supérieur. A partir de 1968, et jusqu’au 13 janvier 1975, il est membre de la section permanente du Conseil Supérieur de l’Éducation Nationale.
Sa notoriété dans l’enseignement supérieur et parmi les scientifiques expliquent sa venue à la politique, somme toute assez tardive.
C’est dans son département natal, où il exerce l’essentiel de sa carrière professionnelle, que Norbert Ségard s’engage. A la suite de l’échec du ministre François-Xavier Ortoli à conquérir la mairie de Lille en 1971, le Président Pompidou fait appel à lui. Norbert Ségard ne dispose d’aucun mandat électif, et ne tire de légitimité dans le monde des décideurs politiques du Nord que de son appartenance à partir de 1970 à la COmmission de Développement Économique Régional (CODER) du département. Cependant, dès le départ, sa carrière politique connaît une progression très rapide. Candidat de l’Union des Républicains pour le Progrès (URP) aux élections législatives dans la première circonscription du Nord, il est largement vainqueur du scrutin, le 11 mars 1973, avec 60% des voix. Élu en novembre 1973, membre du Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais, il représente, au comité central de l’UDR, le club politique « Démocrates Vème », présidé par Maurice Schumann, et animé par Marie-Madeleine Dienesch.
L’activité parlementaire de Norbert Ségard est aussi courte que sa carrière ministérielle est longue et riche. En effet, il ne reste député qu’une année, avant son entrée au gouvernement en juin 1974. Démocrate-chrétien avant tout, mais proche des gaullistes, il ne fait que s’apparenter au groupe de l’UDR et rejoint la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Comme député, Il intervient en séance sur les questions liées à la formation et à l’éducation. Il prend part à la discussion sur les orientations de la politique de l’éducation nationale, en soulignant le rôle des éducateurs. Comme rapporteur du budget de l’Éducation Nationale, il insiste sur le recrutement des jeunes chercheurs, en souhaitant qu’un statut à temps complet leur soit octroyé. Par ailleurs, profondément catholique, professeur de l’enseignement libre, Norbert Ségard a mis « la croix au sommet de sa vie », selon l’expression de son collègue et ami Maurice Schumann. C’est donc sans surprise qu’il accepte, dès son arrivée à l’Assemblée nationale, de présider l’association parlementaire pour la liberté de l’enseignement, jusqu’à son entrée au gouvernement, un an plus tard. A l’Assemblée nationale, le nouveau député du Nord a réussi à marquer ses collègues par ses prises de position.
VALERY GISCARD DESTAING
Sa carrière politique s’accélère véritablement, avec l’élection de Valéry Giscard d’Estaing à la Présidence de la République. Le Premier ministre Jacques Chirac l’appelle dans son gouvernement, le 8 juin 1974, comme Secrétaire d’État au Commerce Extérieur, poste créé pour la première fois. Norbert Ségard ne ménagera pas sa peine dans ce ministère, qui devient de plein exercice en 1975, et qu’il conserve jusqu’en 1976. En deux ans, le ministre étudie tout, voyage énormément, n’hésitant pas à parcourir plus de 300 000 kilomètres et à visiter une quarantaine de pays. Il vend la technologie française à l’autre bout du monde, en bon VRP, et assure un redéploiement géographique des exportations du pays ; il est reconnu dans ses nouvelles fonctions pour les mêmes qualités qui ont fait de lui un professeur apprécié, en raison de son contact et de son écoute. « Le premier représentant de commerce de France », comme l’appellent les membres de son cabinet, participe au redressement anticipé de la balance commerciale française, résultat dû certes à la crise économique qui a entraîné une chute des importations, mais également à l’action du ministre. Dans la conjoncture de crise, consécutive au premier choc pétrolier, l’homme du quai Branly a su faire prendre conscience aux industriels de la nécessité des exportations. Pour ce faire, il n’a pas reculé devant les initiatives en matière de crédits, d’aide aux petites et moyennes entreprises, et de réforme du Centre Français du Commerce Extérieur. Il nourrit ses interventions à l’Assemblée nationale des discussions du comité de hauts consultants qu’il a mis en place sur les échanges extérieurs. C’est le cas au mois de novembre 1974, dans la discussion du budget pour 1975, où il soutient une politique libérale de crédit pour adapter et renforcer l’appareil d’exportation français, notamment par le développement des investissements à l’étranger. Il en est de même pour la discussion budgétaire de son ministère, en novembre 1975. Le 12 janvier 1976, Raymond Barre lui succède au ministère du Commerce Extérieur.
PTT
Norbert Ségard devient alors Secrétaire d’État – autonome – aux Postes, aux Télécommunications et à la Télédiffusion (PTT). Dans ce ministère crée un siècle plus tôt, habitué aux conflits sociaux et caractérisé par la multiplicité des tâches, Norbert Ségard s’attèle alors à l’expansion spectaculaire du téléphone et des nouvelles technologies de communication. Adhérent de la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC), il entretient d’excellentes relations avec les syndicats, ce qui lui permet d’éviter toute grève d’importance durant les quatre années passées à son poste. L’entente qu’il manifeste avec Gérard Théry, Directeur Général des Télécommunications, en porte témoignage. Il est alors le « créateur d’un réseau téléphonique digne d’une société moderne ». En quatre ans, le nombre des abonnés en France a été multiplié par trois passant de 5 millions de lignes à 15 millions en 1980 tout en modernisant le réseau. Les délais moyens de raccordement auront évolué de 12 mois à 3 mois. Le nombre des cabines téléphoniques en France atteint le nombre de 100 000. L’heure de l’ordinateur et des satellites a sonné.
Les Télécommunications, en porte témoignage. Il est alors le « créateur d’un réseau téléphonique digne d’une société moderne ». En quatre ans, le nombre des abonnés en France a été multiplié par trois passant de 5 millions de lignes à 15 millions en 1980 tout en modernisant le réseau. Les délais moyens de raccordement auront évolué de 12 mois à 3 mois. Le nombre des cabines téléphoniques en France atteint le nombre de 100 000. L’heure de l’ordinateur et des satellites a sonné. Les techniques de l’électronique régulent désormais le service postal français, et les balbutiements de la télématique laissent prévoir la fortune que cette technique connaîtra au cours des décennies suivantes. Tout ceci est donc le résultat d’un effort considérable qui place le Secrétariat d’Etat aux PTT parmi les postes budgétaires les mieux dotés.
EPOUSE
Norbert Ségard n’en oublie pas le Nord où il vit avec son épouse Denise. Chargé de mission national de l’UDR pour le nord de la France (régions Champagne-Ardennes, Nord-Pas-de-Calais et Picardie), leader de la majorité présidentielle dans le Nord, président du Rotary-Club de Lille-Centre, président du SIVOM des communes de Lambersart, Saint-André, Marquette et Wambrechies. Il est élu conseiller général du canton de Lille-Centre, en 1976. Au Conseil Régional, il préside l’intergroupe de l’Action Régionale et siège à la commission des affaires sociales.
Plus que tout, il reste soucieux de préparer sa région aux défis technologiques qu’il souhaite voir relever par la France. Certes, il ne parvient pas à battre Pierre Mauroy aux élections municipales de Lille en 1977 mais il est réélu dès le premier tour dans la première circonscription du Nord aux législatives de 1978. Compte-tenu de sa compétence, le président Giscard d’Estaing lui propose alors le ministère de la Recherche Scientifique mais Norbert Ségard refuse.
Après avoir été le ministre du Téléphone, il souhaite devenir le ministre de la Poste et réconcilier les Français avec un service public au caractère prioritaire. Si dans les discussions budgétaires qu’il conduit au parlement, la priorité budgétaire reste au téléphone, le ministre souhaite orienter une partie importante des 30 000 embauches prévues pour 1979 vers le secteur des Postes. Pour de meilleures conditions de travail, ses projets visent à créer des corps régionaux pour éviter de faire transiter tous les postiers par Paris ou à la mise en place du guichet d’affranchissement postal automatique. Il veille également à faire des bureaux ruraux des antennes administratives polyvalentes.
Il ne nie pas les difficultés de ce secteur : problèmes sociaux liés au transfert massif de jeunes agents loin de leur région d’origine et crainte latente devant la mécanisation et le progrès technique. Il s’attache donc à rechercher des solutions consensuelles, comme la nécessité de conserver un service public unique des Postes et Télécommunications ou la réforme des circuits d’acheminement du courrier fondée sur l’accroissement de la décentralisation du tri automatisé. Tout en imposant la suppression progressive des distributions du courrier de l’après-midi, il convainc de la nécessité de clarifier les relations financières entre la Poste et l’État de façon à réaliser l’équilibre de son compte d’exploitation.
La popularité de Norbert Ségard, dans l’opinion en général et dans le Nord en particulier, ne tient pas seulement à son efficacité, son intégrité et à sa compétence ministérielle. Elle vient de l’humanisme dont il a fait preuve tout au long de sa vie professionnelle, politique et personnelle. Dès 1952, il est nommé tuteur de trois neveux. Enseignant, il marque ses étudiants par sa grande capacité d’écoute et de formation. En politique, fidèle au « Sillon » et plus encore à Emmanuel Mounier dont il se réfère continument, il n’adhère à aucun parti directement. Il entretient de bonnes relations avec les gaullistes, à la formation desquels il s’est d’abord apparenté, mais se dit démocrate-chrétien avant tout. S’il s’apparente ensuite à l’Union pour la Démocratie Française (UDF) en 1978, c’est qu’il se sent proche de l’une de ses composantes, le Centre des Démocrates Sociaux (CDS).
Tiraillé entre Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac, le député du Nord s’investit finalement au service exclusif du premier, à l’approche de l’élection présidentielle de 1981. Il sera élu président de la fédération UDF du Nord en 1979. Enfin, sur le plan personnel, Norbert Ségard marque durablement ses compatriotes lorsqu’il annonce publiquement, au mois d’octobre 1978, qu’il est atteint d’un cancer au poumon, alors qu’il exerce des fonctions ministérielles prenantes. Dans cette déclaration improvisée, le lendemain de la mort de Jacques Brel, atteint du même mal que lui, il souhaite d’abord faire la démonstration que « l’on peut vivre parfaitement avec un seul poumon et travailler beaucoup », souhaitant ainsi « lutter non contre la mort, mais pour la vie ». Mais au-delà, son but est surtout de marquer les jeunes fumeurs, et de contribuer ainsi, par l’exemple, à la campagne anti-tabac menée par Simone Veil, ministre de la Santé. Le « ministre courage », qui brise le double tabou de la maladie et du silence qui l’entoure, entraîne l’admiration de tous, en face de l’abnégation déployée dans son combat quotidien. Au début du mois de novembre 1980, il demande au président de la République de bien vouloir le remplacer dans ses fonctions de secrétaire d’Etat aux PTT.
Valéry Giscard d’Estaing le nomme aussitôt dans des fonctions de réflexion en en faisant un ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé d’étudier attentivement les conditions et les conséquences de l’emploi des technologies avancées du point de vue social, économique et culturel. A la veille de la mort, il contribue ainsi à une réflexion sur l’avenir. Il parle encore d’espérance, lors des « provinciales » du Parti républicain, qu’il reçoit à Lille, le 31 janvier 1981. Il s’éteint le lendemain, dans sa maison de Lille, à l’âge de 58 ans.
A plusieurs journalistes qui l’avaient interrogé quelques années plus tôt, Norbert Ségard avait conclu son entretien, en déclarant : « lorsque je serai mort, j’aimerais qu’on dise de moi, il a été un honnête homme ». Au témoignage de ses amis et adversaires politiques, de Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac à François Mitterrand, de Raymond Barre à Pierre Mauroy, nul doute que celles et ceux qui ont connu Norbert Ségard ne lui refuseront ce juste hommage.